D’un contrôle d’identité à une détention provisoire, une collaboration police-justice.

Après bientôt trois mois d’une contestation massive et acharnée, le mouvement des gilets jaunes n’en finit pas de ne pas finir, et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas du goût du pouvoir.
Récit d’une nouvelle opération de police, sous les ordres de Mme Billot, juge d’instruction.

Samedi 2 février, alors que se prépare l’acte XII des gilets jaunes, les flics, munis d’une réquisition du procureur, procèdent à leurs rondes habituelles. Contrôles d’identité, fouilles, confiscation du matériel de défense, comme depuis des semaines, ils répriment en préventif.

Ce même jour, alors qu’il garde une enfant, R assiste depuis la fenêtre à l’un de ces contrôles. Descendu fumer une clope dans la rue, il est à son tour contrôlé. N’ayant pas ses papiers, il est emmené au poste, où il refuse le fichage ADN. Il est alors placé en GAV.

48 heures plus tard, on apprend avec stupeur qu’il est présenté à une juge d’instruction, mis en examen pour association de malfaiteur, refus d’ADN et identité imaginaire, et placé en détention provisoire. Aoutch.

Deux jours plus tard, mercredi 6 février, en début de soirée, vers 20h30, deux perquisitions ont lieu. Au domicile du prévenu, et dans l’appartement dans lequel il se trouvait avant de descendre fumer une clope le samedi après-midi.

En tout c’est près de de 60 flics qui débarquent armes au poing dans les domiciles, refusant de montrer la commission rogatoire qui leur permet ces violations de la vie privée. Ils retournent toutes les chambres et les parties communes, garage compris, indistinctement, et saisissent ordinateurs, clés usb, téléphones portables mais aussi thunes, tracts, livres, fringues ou encore factures. Ils iront jusqu’à fouiller les poubelles.

L’ensemble de la procédure paraît bien brinquebalante. Leurs dossiers sont vides et il va bien falloir les remplir. Pour ça, le fameux couple police et justice fabrique de la culpabilité à la pelle, et tous les prétextes sont bons, il s’agit pour eux de rendre des résultats, de justifier des moyens engagés, de montrer à la population que le pouvoir gère encore, de faire rentrer les gens chez eux.

Fin janvier, la préfecture annonçait la création à Toulouse d’un groupe d’enquête spéciale Gilets Jaunes, composé d’une dizaine de policiers de la sûreté départementale et d’« investigateurs en cybercriminalité ». Ils travaillent en collaboration avec le parquet et sous la direction du procureur. A leur disposition les heures d’images produites chaque samedi : ils les passent au peigne fin avec pour objectif l’identification des manifestant.es. Déjà une quarantaine d’enquêtes semblent avoir été ouvertes.

L’association de malfaiteurs qu’ils ressortent ici, est de plus en plus utilisée ces dernières années, véritable fourre-tout juridique permettant à la justice et la police de faire ce qu’ils veulent. Elle ne vise pas à incriminer pour des faits en particulier mais à réprimer à plus grande ampleur. Ce qui est visé, ce sont les liens, le soutien, l’ambiance qui permet à la contestation d’exister sous toutes ses formes, c’est "l’entente en vue de" Cela leur permet notamment de mettre en place des écoutes téléphoniques, des géolocalisations, des filatures, des perquisitions, de la surveillance informatique et de suspecter ceux et celles qui ne veulent plus subir sans rien dire.

La procédure à laquelle on assiste ici est autant exceptionnelle qu’elle se banalise. C’est en fait la continuité de ce qui se passe dans la rue : en frapper un pour en effrayer cent. Marquer les corps et les esprits. Instiller la peur et l’angoisse. Faire rentrer les gens chez eux. Enrayer la dynamique de lutte.

Les blessures physiques et psychologiques, les mains arrachées, les regards éborgnés, les traumatismes face aux violences et leurs nuages de gaz. Les condamnations à la chaîne dans les chambres de comparutions immédiates, les peines de prison, les amendes et les interdictions de manifester.
Les instructions, les perquisitions et le sentiment permanent d’être scruté, épié, observé.

C’est l’arsenal dont dispose aujourd’hui le pouvoir pour maintenir son ordre et ses privilèges.

La violence que déploie aujourd’hui le pouvoir pour se défendre a cela d’exceptionnel qu’elle vient dévoiler la brutalité que nous subissons au quotidien. Mépris, exploitation, boulots de merde, loyers démesurés, crédit à vie et vice-versa.
Ce sont ces conditions d’existence face auxquelles nous sommes des dizaines de milliers à crier nos rages.
Et pour ceux qui nous exploitent, pas question de lâcher, ils ont un monde de privilèges à défendre, ils ont leur beurre à faire sur notre dos et des armes policières et juridiques pour continuer à le faire.

A travers ce type d’enquêtes ou d’instruction, c’est le mouvement en cours dans son ensemble qui est directement attaqué. C’est une tentative de plus visant à diviser les manifestant·e·s, en isolant certaines personnes, alors même que l’on assiste depuis plusieurs semaines à un large mouvement populaire qui prend la rue en s’exprimant de manière plurielle. Ne nous laissons pas faire et affirmons ensemble "Nous sommes tou.te.s des malfaiteurs"


publié le 11 février 2019