Pensées autonomes autour de la grève de la faim des sans-papiers

Ce texte va essayer de faire une compte-rendu partiel (et partial) de la journée du 21 juillet, à savoir l’arrêt de la grève de la soif et la suspension de la grève de la faim par les plus de 450 personnes sans-papiers occupant plusieurs lieux à Bruxelles. Leurs revendications étaient :
1) La régularisation immédiate des grévistes de la faim
2) Des critères clairs (par le travail et autres) pour la régularisation. Cette revendication ayant été abandonnées assez vite.

Les informations sur les revendications, malheureusement, n’ont jamais été très claires et cela a amené à pas mal de confusion chez certain.e.s soutiens et grévistes.

Beaucoup d’informations et de contre-informations ont été diffusées à propos de ce dernier jour de grève. Nous avons essayé de faire le tri parmi elles.

Nous n’allons pas essayer de tirer des conclusions. Ce texte n’est pas là non plus pour soutenir le moyen employé par les sans-papiers (la grève de la faim) mais il est fort probable que cette situation se produise à nouveau et nous espérons que ce document puisse servir à l’élaboration de stratégies plus autonomes dans le futur. C’est aussi un appel : il y a toujours peu de personnes présentes dans les occupations pour soutenir les ex-grévistes à se remettre physiquement et mentalement de cette grève. L’USPR* a commencé à occuper l’église du Béguinage, la VUB et l’ULB depuis fin janvier. Ceci veut donc dire qu’après une année de précarité suite au confinement, la disparation de nombreux boulots clandestins et des réseaux de solidarité familiale et communautaire, ces personnes ont abandonné leurs logements et passé plusieurs mois a se dédier à la lutte politique. Plusieurs occupant.es ex-grévistes se trouvent donc aujourd’hui sans information, sans soutien, sans aide, sans repos dans des infrastructures précaires, parfois sans avoir assez à manger... Vous trouverez des propositions sur les urgences concrètes en fin d’article.

Les négociations

A partir du 40ème jour de grève de la faim, les contacts avec le cabinet de Sammy Mahdi et l’office des étrangers commencent petit à petit à se mettre en place mais les porte-paroles sont face à un mur : Sammy Mahdi repete le même discours qu’il a developpé à la première journée de la grève : pas de clarification des critères de régularisation et "on ne cède pas face à une chantage de la part des sans papiers". Durant ces rencontres ce ne sont pas uniquement les porte-paroles et leurs allié.e.s qui sont invité.e.s mais aussi une multitudes d’organisations.
Le 21 juillet, soit après 60 jours de grève de la faim, nous apprenons qu’une négociation est en cours entre le cabinet de Sammy Mahdi (secrétaire d’état à l’asile et la migration), Mr. Roosemont (directeur de l’office des étrangers) et Mr. Vandenbulcke (superviseur du CGRA) d’une part et Alexis Deswaef, Marie-Pierre Debuisseret -2 avocat.e.s-, le père Daniel Alliët (église du Béguinage) et Mehdi Kassou (Plateforme Citoyenne) d’autre part. Aucune de ces 4 dernières personnes n’a été nommée comme représentant.e du collectif de l’USPR et de ses plus de 450 membres sans papiers. Il n’est toujours pas clair pourquoi ces 4 personnes ont été a l’initiative ou ont été convoquées pour parler d’un collectif en lutte qu’ils et elles n’ont jamais représenté légitimement.
Selon les rumeurs, cette rencontre durera 6 heures. Ensuite, une réunion a lieu à l’église du Béguinage avec les 4 "négociateurices" de l’USPR, les 8 porte-paroles des 3 occupations et quelques soutiens qui se sont autoclammé "le noyau" ou "les représentants du comité de soutien".

A l’église du Béguinage

En même temps, à 14h un rassemblement pour exiger la régularisation immédiate des grévistes devait avoir lieu devant l’église du Béguinage. 20 minutes avant, une rumeur circule sur un groupe de soutien Signal : des groupes fascistes compteraient venir au rassemblement. Une discussion s’enchaîne pour savoir si oui ou non il faut annuler le rassemblement. Après peu de temps, il s’avère qu’il s’agit d’une information erronée, venant de la police.
Ainsi, une centaine de personnes se trouvent devant l’église au moment où les porte-paroles sortent de l’église. Un d’eux dira : "Ils nous promettent un élargissement de la procédure 9bis**. On n’a pas d’autre choix, on doit accepter cette accord. C’est ça ou rien".
Une partie des porte-parole et "négociateurices" entrent à nouveau dans l’église pour soumettre la proposition aux grévistes du Béguinage, une autre partie va vers l’ULB (et ensuite la VUB) pour aller soumettre la proposition aux grévistes de ces lieux.
Plus ou moins une heure plus tard, un des porte-parole de l’église du Béguinage ressort de l’église pour annoncer que les grévistes du Béguinage ont décidé d’arrêter la grève de la soif et de suspendre la grève de la faim afin d’éviter des décès. On voit sur des images des médias des questions insistantes sur la signification de la suspension de la grève de la faim. Le porte-parole répète qu’il s’agit d’une suspension de l’action des grévistes du Béguinage et que les négociations avec les autorités devraient encore continuer. Elle peut donc reprendre si la proposition n’est pas retenue par l’entièreté des grévistes.
Un certain temps plus tard, les grévistes du Béguinage sortent de l’église. Ils et elles semblent en euphorie : des cris, applaudissements, des chants. D’autres ont l’air plutôt confu.se.s.

A la VUB et l’ULB

Les grévistes à la VUB et l’ULB apprennent dans l’après midi via les reseaux sociaux qu’un accord est en cours ou a déjà été accepté mais ils et elles ne savaient pas ce qu’est cette accord.
Une délégation constituée de Marie-Pierre Debuisseret, le père Daniel Alliët, Mehdi Kassou -des personnes qu’aucun.e gréviste de l’ULB ou VUB n’avait rencontré auparavant- et deux porte-paroles vont d’abord à l’ULB et ensuite en comité plus restreint à la VUB pour expliquer la proposition déjà acceptée par le Béguinage.
Aux occupations de l’ULB et de la VUB on entend la conclusion de la discussion qui a eu lieu le matin avec les autorités : beaucoup de "peut-être", "je pense que", "nous pourrions peut-être encore négocier que"... La proposition est un élargissement du 9bis sur base d’un accord flou et oral via une procédure de régularisation à la base déjà très floue, les dossiers seront directement examinés sur le fond -sans phase de recevabilité- de manière prioritaire et sans devoir payer les frais de dossier/la redevance (allant jusque 400€ par dossier). Ceux et celles qui peuvent démontrer un long séjour et des liens familiaux (ou "attaches/ancrage durable") auront des bonnes chances (?) de se faire régulariser. De l’autre côté, des éléments comme le travail, l’impossibilité du retour, les critères de vulnérabilités seront "peut-être" traités de manière plus souple par les fonctionnaires de l’Office des Etrangers... La délégation dit également qu’il faut accepter cette proposition. Elle dit que lors d’une grève de la faim il y a quelques années, les grévistes se sont tou.te.s retrouvé.e.s en centre fermé suite à un refus d’accepter la proposition de l’office des étrangers.
A l’ULB les grévistes sont divisé.e.s en deux : une partie veut suivre la décision du Béguinage de suspendre la grève, l’autre partie refuse et veut la continuer. A la VUB, une majorité est inquiète et ne comprends pas pourquoi ils et elles devraient accepter un accord sans reèl engagement et sans clarté. Il y a une grande confusion et de fortes discussions entre les grévistes.
Le discours lors cette soirée du 21 juillet parmi les grévistes de l’ULB et la VUB était : si tout le monde nous dit qu’au Béguinage on a accepté la proposition, qui sommes-nous de continuer une grève tandis que tout le monde nous dit que le monde politique part en vacances, qu’il n’y a rien d’autre à obtenir ? Les deux occupations universitaires se renvoient un peu la balle pour prendre une décision durant la soirée... tard le soir la décision est enfin prise que l’ULB et la VUB céderaient aussi face au mur que Mahdi et l’office leur avait posé et suspendent/arrêtent la grève de la faim et la soif. Il fallait qu’ils et elles acceptent un accord avec ces petites privilèges. Mais à quoi sert un traitement prioritaire si c’est pour se ramasser un négatif ? Pour ceux et celles considèrent ne pas disposer des critères de base (durée de séjour et attaches durables via des liens familiaux ou enfants), sont-ils et elles alors contraintes d’accepter une carte orange 9ter*** de 3 mois sans accès au travail (ironiquement la carte orange 9ter donne accès à 3 mois d’aides financière du CPAS, mais qui est à son tour punissable dans une demande 9bis) ? Mais aujourd’hui, il n’est même plus tellement certain que les grévistes pourront recevoir ce type de séjour.

Les jours suivants

Les jours après nous avons pu être témoins de plusieurs horreurs, Sammy Mahdi déclare le lendemain qu’aucun accord n’a été conclu avec les grévistes, les politicien.nes et les organisations de la "gauche" crient victoire et se sentent "soulagé.es" pourtant les risques de décès ou de problèmes de santé étaient encore bien présents (risques liés à la réalimentation et tentatives de suicides), la zone neutre**** fermera ses portes suite à l’arrivée des nombreuses personnes sans papiers desespérées, "l’accord" ne trouve aucune clarification sur les critères qui seront utilisés et ce sont quelques soutiens qui rédigent une "ligne de conduite" pour la constitution des dossiers sans avoir de base claire. De plus, nous apprenons que ce n’est pas l’Office des Etrangers qui prendra en charge les frais de redevance... Aujourd’hui, après un mois nous apprenons enfin que ce sont les communes de Bruxelles et Ixelles (communes ou se trouvent les 3 occupations) qui s’en chargeront.
Les dossiers sont en cours de constitution mais il n’est toujours pas clair jusque quand les grévistes pourront les déposer. Probablement jusqu’aux alentours du 15 septembre. Nous ne savons pas encore comment la question de l’adresse des demandeuses et demandeurs va être réglée, quels éléments à inclure dans le dossier ou non. Pourtant les effets de la grève de la faim sur la santé physique et mentale sont énormes, la plupart des avocats, juristes, associations et institutions publiques ont pris leurs vacances jusqu’au 15 août au moins. Ça ralentit l’organisation du soutien juridique qu’ont besoin les ex-grévistes. Ceci rend également difficile d’obtenir les nombreuses attestations, preuves, et autres documents pour la constitution des dossiers. Et d’ailleurs, on ne sait même pas vraiment quelles preuves il faut exactement. On a parlé de preuves de travail clandestin par exemple. Mais quel patron voudra bien témoigner de cela ?

Quelques questions

Pendant la grève et encore aujourd’hui, le mouvement des grévistes a été peu soutenu par les réseaux autonomes. Avons-nous abandonné nos ami.e.s sans papiers dans leur lutte, après une action de telle ampleur, qui a perturbé le monde associatif et politique, qui a mobilisé des célébrités mondiales, qui a mené à des actions de solidarité ici et au-delà des frontières linguistiques et nationales et qui a également presque mené à une crise institutionnelle ?
Avons-nous laissé les grévistes périr dans la fatigue et le stress pour qu’encore une fois ils et elles se laissent instrumentaliser par des égos dits "militants" ? Pourquoi n’avons-nous pas été présent.e.s sur le terrain, mettant tout en œuvre pour éviter que ce soient des non-représentant.e.s qui imposent un soi-disant "accord" que les grévistes sans papiers n’ont jamais voulu ?
Force est de constater que nous ne sommes pas aux cotés des personnes les plus exclues et criminalisées dans notre société.

Quelques besoins concrets/pistes

- aider a trouver des plans recup ou d’autres plan nourriture autour des occupations (Au Béguinage on a pas de possibilité de cuisiner sur place)
- être présent pour découvrir comment les soutenir
- aider a la redaction des témoignages (!!!!)
- Parcourir les differentes elements à mettre en avant dans les dossiers que les gens sont en train de preparer
- trouver des bons avocats qui veulent prendre quelques dossiers en main
- Repenser, en collectif, à notre positionnement en tant que militant.e. par rapport aux modes d’action choisis par les personnes concernées. Et peut-être être plus présent.e sur place pour faire entendre des moyens d’organisation plus horizontaux.
- Continuer à mettre la pression par tous les moyens possibles ! Les sans-papiers ont besoin de notre soutien, aujourd’hui plus que jamais.

Au Béguinage, la préparation des dossiers est plus avancée qu’à l’ULB et la VUB. Une permanence juridique est organisé par 2 juristes du Ciré, soutenu par quelques bénévoles (trop peu !). Au Béguinage le local se trouve en face de l’église (Klostereick) et est ouverte chaque jour. A l’ULB la permanence juridique à lieu derière l’occupation (ULB la plaine, Avenue Roger Lallemand, local "Forum") et est ouverte le lundi-mercredi-vendredi. A la VUB l’occupation se trouve dans le local STOA (Via Boulevard du Triomphe, entrée 6, local STOA) et la permanence juridique se trouve au dessus de l’occupation (escalier à coté de l’éntrée de l’occupation, local "ancien ING") ouverte le mardi-jeudi.

Besoin pour la cuisine :
- VUB (contact Mourad : 0465539221), bâtiment STOA (entrée 6, via boulevard du triomphe)
Matériel de cuisine : 2 plaques électriques, cuillères, fourchettes, assiettes, couscousiere a la vapeur, 2 grandes marmites/casseroles, poêles, four
Nourriture : couscous, pommes de terres, spaghettis, riz, légumes (choux, navets, carottes, courgettes, potirons, pois chiches, oignons, maïs, salade, tomates, sauce tomate), épices (persil, coriandre, ail, poivre, sel, curcuma, gingembre, cubes knors), viande halal et poulets, vinaigre, huile d’olive, thon, pain, mayonnaise, yaourts, fruits (citrons...),fromage, jus, eau, sucre, lait, thé, café.
- ULB (contact Issam 0466365827), campus la plaine, avenue Roger lallemand
Matériel cuisine : bouilloire, couscousiere à vapeur, 3 grandes marmites/casseroles, poêles, four, fourchettes, cuillères, quelques couteaux, assiettes
Nourriture : couscous, pommes de terres, spaghettis, riz, légumes (choux, navets, carottes, courgettes, potirons, pois chiches, oignons, maïs, salade, tomates, sauce tomate), épices (persil, coriandre, ail, poivre, sel, curcuma, gingembre, cubes knors), viande halal et poulets, vinaigre, huile d’olive, thon, pain, mayonnaise, yaourts, fruits (citrons...),fromage, jus, eau, sucre, lait, thé, café
- Béguinage : pas de possibilité de cuisiner : venir avec des plats tout faits ou des choses faciles a préparer (bouilloire, assiettes et couverts sur place)

Texte écrit par deux militant.e.s (relu par des personnes concernées).

NO BORDER !

* Union des Sans-Papiers Pour la Régularisation
** Il s’agit d’une procédure consideré comme une "faveur" quand des circonstances exceptionnelles, dont impossibilité de retour au pays, peuvent etre demontrées.
*** Pour raisons médicales.
**** Un local ouvert par Sammy Mahdi près du Béguinage pour que les grévistes puissent venir prendre des informations sur les procédures existantes. Dans la proposition du 21 juillet l’idée était que les grévistes puissent venir y déposer leur dossier.


publié le 20 août 2021